mercredi 17 juin 2009

Hagiographie et pastorale : journée de Lille (mars 2009)

Auteur : Charles Mériaux

HAGIOGRAPHIE ET PASTORALE

Journée d’études
Lille, Institut catholique, vendredi 20 mars 2009


Isabelle WESTEEL
Hagiographie et pastorale à l’époque mérovingienne : le ‘sermon’ de saint Éloi de Noyon

Consacré évêque de Noyon et de Tournai à l’Ascension 641, Éloi occupa ces deux sièges épiscopaux jusqu’à sa mort le 1er décembre 660. Sa formation, ses activités de monétaire à la cour de Clotaire II et de Dagobert Ier puis d’évêque sont connues de manière remarquable par une Vie que lui a consacrée son contemporain et ami Ouen, ancien référendaire devenu évêque métropolitain de Rouen. L’authenticité de cette Vie – soupçonnée par la critique – a été récemment défendue par Clemens Bayer. L’historien peut donc en tirer avec sûreté des informations sur la manière dont l’évêque s’adressait à ses diocésains. Ouen a non seulement mis en scène l’évêque en train de prêcher, mais il a aussi donné au livre II de larges extraits des sermons prononcés par Éloi. De ceux-ci se dégage finalement le tableau assez équivoque d’un peuple de baptisés auquel il s’agit d’inculquer un comportement authentiquement chrétien ; et d’autre part celui d’une population encore adepte de superstitions profondément païennes. De manière plus large, le ‘sermon’ de saint Éloi soulève le problème suivant : quelle image doit-on retenir de la vie culturelle et religieuse de la Gaule du Nord au VIIe siècle ?

Jean HEUCLIN
Le thème du mariage dans les Vies de sainte Aldegonde de Maubeuge

Le dossier hagiographique de sainte Aldegonde, fondatrice et première abbesse du monastère de Maubeuge, est constitué de six textes composés entre le VIIIe et le XIIe siècle. Le thème du mariage proposé par les parents mais décliné par la jeune femme apparaît dès la première Vie ; il reste un thème majeur dans les textes suivants, vraisemblablement en raison du caractère très particulier de cette communauté de chanoinesses, à la fois très présentes dans le monde, mais régulièrement enjointes de se soumettre à une règle plus stricte. Le mariage fait donc l’objet de présentations nuancées qui cherchent à la fois à répondre aux attentes du/des commanditaire(s) supposé(s) (respect de la volonté parentale ; supériorité du célibat consacré ; défense des biens de la communauté ; restauration de la règle bénédictine) tout en visant un public spécifique (moniales ou clercs de Maubeuge, laïcs des environs).

Marie ISAIA
La collection canonique d’Hervé de Reims († 922) : l’hagiographique au service de la pastorale

La collection dite « canonique » de l’archevêque Hervé de Reims (900 † 922) a été compilée à l’intention de l’archevêque de Rouen confronté à l’installation dans sa province des Normands païens après le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911). En fait ce recueil est constitué pour moitié de canons tirés de la législation ecclésiastique antérieure et pour moitié d’extraits de textes hagiographiques illustrant l’importance du baptême, la nécessité de la miséricorde et, de manière plus institutionnelle, le rôle de l’évêque ; il fournit ainsi un exemple exceptionnel de la valeur normative accordée à l’hagiographie pendant le haut Moyen Âge. À la suite d’Olivier Guillot, il est possible d’insister sur deux points. La collection est d’abord révélatrice d’une double conversion : elle vise certes à encadrer l’intégration des Normands païens dans le monde chrétien, mais elle témoigne aussi d’un changement d’attitude au sein de l’épiscopat franc, très hostile, avant 911, à ces mêmes Normands. En puisant dans des précédents illustrés par l’hagiographie – en particulier la conversion de Clovis telle qu’elle est présentée dans la Vita Vedastis d’Alcuin – Hervé tend un nouveau miroir à ses collègues de Francie occidentale. D’autre part, on doit aussi dégager le caractère parfaitement banal de cette compilation hagiographique. Hervé ne cherche pas à instaurer de nouvelles normes ; il montre au contraire, en se référant volontairement à des lieux communs connus, que l’attitude qu’il propose peut et doit être acceptée par tous car elle est conforme à la tradition. Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’usage de l’hagiographie car celle-ci quitte le champ de l’intimité spirituelle pour exprimer des lois générales.

Klaus KRÖNERT
Hagiographie et prédication à Trèves (Xe-XIe siècle)

L’hagiographie médiévale ne connaît, jusqu’à aujourd’hui, aucune définition en tant que « genre ». Il est pourtant évident que les textes relatifs aux saints obéissent à des règles propres qui les distinguent d’autres formes littéraires. Les hagiographes et leurs lecteurs les connaissaient, ce qui a facilité la communication de manière considérable. L’hagiographie du haut Moyen Age se situe en fait entre les genres clairement définis de l’historiographie et de la prédication. Elle doit satisfaire deux critères principaux. D’abord, un texte hagiographique doit avoir, pour sujet principal, les « amis de Dieu » (Guy Philippart), ce qui évite la difficile question de savoir si le protagoniste d’un récit était vénéré ou canonisé et à partir de quel moment. Ensuite, le texte doit être réparti en « generalia » et en « specialia », expressions que Milon de Thérouanne a utilisées dans sa Vita Principii. Les « généralités » représentent des topoi, des lieux communs, des réflexions théologiques et des paroles exhortatives et exégétiques exprimant tous des « vérités atemporelles » et caractérisant, en règle générale, les textes homilétiques. Les « spécialités » sont des « faits historiques » et des actions uniques et individuelles qui s’inscrivent dans l’axe du temps et qui trouvent leur place habituelle dans les récits historiographiques. Seulement si les deux – « generalia » et « specialia » – sont valablement représentés dans un texte consacré à un « ami de Dieu », on peut parler, semble-t-il, de l’hagiographie.


Une publication des communications est prévue en 2010 dans les Mélanges de science religieuse.

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